Abstract 1
Cette dmarche se propose d'utiliser le mouvement comme un outil
didactique, technique et musical dans l'apprentissage de l'instrument.
Il s'agit d'effectuer des pas de danse simples tout en jouant du violon*,
d'apprhender l'espace environnant et de structurer la musique dans celui-ci.
Ce travail qui prend en compte la globalit de lÕenfant est un outil
pdagogique efficace et performant tant pour lÕapprentissage rythmique,
neurologique et artistique que pour la technique instrumentale proprement dite.
*Tout au long du texte, le terme Ē violon Č se
reporte aussi Ē alto Č.
Introduction
La pdagogie du violon a
longtemps t rgie par des coles et des traditions quÕon pensait immuables.
Depuis quelques dcennies les recherches dans ce domaine se multiplient suivant
parfois des chemins peu conventionnels, preuve en est cette dition du Quaderni
della SIEM qui est consacre aux mthodologies alternatives de lÕenseignement.
Je suis trs heureuse dÕavoir
lÕopportunit dÕy prsenter quelques-unes des rflexions pdagogiques
dÕapprentissage du violon que jÕai dvelopp.
En effet, jÕai eu le bonheur,
dans ma vie dÕenseignante, de dcouvrir et de dvelopper notamment un outil
indit qui a eu un immense impact sur mon travail.
Pour moi, cet outil est pass
du statut dÕ Ē approche alternative Č celui de Ē procd
incontournable Č.
AujourdÕhui, avec 15 annes
de recul, je sais que les magnifiques rsultats quÕobtiennent mes lves sont
intimement lis cette dmarche.
JÕai appel ce procd les
Ē Violons Dansants Č. Et cÕest cette approche que je dvelopperai
dans cet article.
Il est difficile dÕexprimer
le mouvement par crit. JÕai donc dcid de ne pas charger le texte par des
descriptions de chorgraphies, vous pouvez les voir sur les nombreuses vidos
du site internet des Violons dansants.
Mon texte porte surtout sur
les raisons et les rsultats de ma dmarche. En effet, les techniques
proprement parler sont trs simples et elles sont surtout dcouvrir par la
pratique. De plus, elles nÕont rien dÕimmuable, chacun les transformera sa
guise.
Il y a plus de trente ans,
jÕai dbut comme jeune enseignante au Conservatoire de Lausanne avec nergie
et enthousiasme.
Pourtant, au bout dÕune
dizaine dÕannes, jÕai commenc perdre mon lan.
Les rsultats taient
finalement assez peu convaincants, les enfants jouaient de manire ardue, cela
sonnait faux et les dfauts tait toujours les mmes. Les lves ne semblaient
pas prendre plaisir cet apprentissage et jÕtais moi-mme de moins en moins
motivante.
JÕai donc dcid de faire une
pause pour prendre de la distance et chercher un nouvel essor. Et, vrai dire,
en demandant un cong dÕune anne au Conservatoire, je nÕtais pas sre de
recommencer lÕenseignement.
Cette dcision a t lÕune
des meilleures que jÕai prises dans ma vie.
En revenant, car je suis bel
et bien revenue, je mÕtais donn comme dfi de changer les choses tout prix.
Il fallait imprativement que mon travail mne de vrais rsultats et quÕil
devienne stimulant tant pour moi que pour mes lves.
Pour mettre en place une
relle dynamique, jÕai cherch ce que chaque proposition faite lÕenfant ait
un rsultat tangible dans le court ou moyen terme. Je voulais trouver des
solutions pour que lÕlve puisse sÕapproprier son travail. Intuitivement, je sentais
quÕil devait devenir acteur de son propre apprentissage.
CÕest cet tat dÕesprit qui
mÕa stimul tester des choses qui auraient pu sembler peu crdibles cette
poque et qui aujourdÕhui sont attendues de chacun de nous.
Durant cette priode jÕai
commenc une formation continue lÕInstitut de rythmique Jaques-Dalcroze
Genve.
CÕest cette formation qui mÕa
permis de dvelopper les ĒViolons Dansants Č et les rsultats enthousiasmants
qui en ont dcouls.
Les violons
dansants
Gnralits
LÕide de base est dÕoffrir l'enfant un apprentissage qui intgre sa
globalit et qui lui permette de se dvelopper tant musicalement que
personnellement.
C'est l'une des raisons qui m'a pouss suivre la formation continue
de l'Institut de rythmique Jaques-Dalcroze Genve de 1998 1999.
Le fondement de la recherche labore par Jaques-Dalcroze porte sur la
globalit de l'tre et vise au dveloppement de la personnalit de l'enfant par
le biais de la musique, du mouvement et de l'expression.
En suivant cette formation, j'ai immdiatement t tente de tester les
exercices raliss aux cours de rythmique en jouant simultanment avec mon
alto.
Avec mon instrument mobile, je pouvais ainsi, seule, gnrer la musique
et les mouvements.
J'ai vite constat qu'une "simple" valse interfrait
dramatiquement sur le jeu instrumental: l'archet ne rpondait plus mes ordres
et doigts et pieds sÕencoublaient.
Il est vrai que, si garder une pulsation de base avec les pieds est
dj un lment ajout au jeu complexe du violoniste, le dplacement du poids
du corps, l'asymtrie entre les pieds ainsi que les ordres crbraux requis par
les mouvements des exercices de rythmique deviennent un vnement perturbateur.
J'ai donc construit l'hypothse que si l'on pouvait rsoudre cette
situation conflictuelle, le jeu violonistique devait en bnficier, car comme
le souligne Jaques-Dalcroze :
"Un des
meilleurs moyens d'assurer l'indpendance de chaque mouvement isol nous parat
tre d'en provoquer la conscience en l'exerant simultanment avec d'autres
membres et avec d'autres mouvements contrastants dont il ne doit pas subir
l'influence rflexe." Emile Jaques-Dalcroze "La musique et nous", p.112
Le jeu instrumental rside
essentiellement sur des mouvements isols qui doivent rester indpendants les
uns des autres, donc ne pas subir l'influence rflexe les uns des autres.
En jouant, nous provoquons de
ce fait la conscience de chacune de nos actions les unes par rapport aux autres
et nous apprenons ne pas les laisser s'influencer mutuellement.
LÕinstrumentiste archet est
particulirement soumis ces mouvements contrastants.
En effet, pour un seul
rsultat sonore, chacun des deux cts de son corps a son propre rle et
surtout sÕutilise trs diffremment : le gauche cre la mlodie et joue sur la
dextrit des doigts et le droit soutient le son par le poids, la vitesse et
lÕespace des mouvements du bras entier. Chacun doit tre indpendant de lÕautre
tout en y tant intimement li. Les ordres neurologiques en sont donc
complexifis et lÕinflux musculaire doit tre extrmement prcis et simultan
pour crer la nettet du son.
Il nÕy a pas de symtrie
spatiale entre les mouvements du bras gauche et ceux du bras droit : la partie
gauche de notre corps est peu mobile et travaille verticalement pour la pose
des doigts alors que la partie droite excute un mouvement latral.
De plus, tout ceci se passe
dans le haut du corps de manire Ē horizontale Č et le jeu repose sur un espace
Ē vide Č devant soi. LÕassise verticale (relle) est quasiment inexistante dans
le jeu du violoniste. Il sÕagit dÕapprendre dplacer mentalement ce jeu sur
notre verticalit, de sentir, par exemple, ce fameux
Ē poids
du bras Č qui, dans les faits, repose sur lÕairÉ
Sans conteste le jeu du
violoniste est focalis sur le haut du corps.
Les difficults inhrentes
cet instrument auront tendance bloquer l'esprit sur des actions trs
prcises, crant souvent des crispations et des motions ngatives.
Au vu de ce qui prcde, j'ai
fait le pari que si l'on ajoutait les membres infrieurs comme mouvements
contrastants ces complexits, l'apprentissage devrait tre facilit et les
mouvements devenir plus naturels et fluides et quÕen focalisant l'esprit sur
d'autres rsistances, les tensions relatives aux difficults de l'instrument
tendraient disparatre.
En bref, si on pouvait danser
en jouant, la technique serait gagnante et le jeu deviendrait plus libre et
dtendu.
Aprs plusieurs gnrations
dÕlves dbutants, je peux maintenant assurer que ce pari sÕest avr juste.
On remarque chez ces enfants
:
„ Un
apprentissage gnral de lÕinstrument acclr.
„ Une
aisance particulire dans le jeu de l'archet ; les mouvements sont amples et ne
sont pas limits par la seule dimension de l'archet ; l'espace environnant
est galement investi.
„ Une attitude
et une gestuelle du corps adapte au jeu et l'expression.
„ Un
accs au vibrato trs tt dans l'apprentissage ; le vibrato requiert une grande
facult de dissociation car cÕest une action continue qui ne doit subir aucune
influence des autres impulsions et, dans lÕautre sens, ne pas perturber le jeu
de lÕarchet.
„ Peu de
problmes rythmiques et le sens de la pulsation.
„ Et
surtout, beaucoup de plaisir jouer et transmettre leur enthousiasme.
En basant les
mouvements de ces deux parties hautes du corps sur une pulsation et un
mouvement plus fondamental du bas du corps, on constate que les impulsions
neurologiques deviennent simultanes.
De plus, par
l'ajout de l'exercice complexe des pas et du dplacement du corps dans
lÕespace, le jeu de lÕarchet devient plus ais et naturel, il gagne galement en
sonorit.
Le fait de provoquer la
conscience de lÕindpendance de chaque mouvement isol en lÕexerant
simultanment avec le mouvement des pas allge et rend lÕapprentissage
notablement plus rapide.
CÕest un travail la fois ludique
et trs srieux pour les enfants qui montrent un vident plaisir dpasser ces
conflits neurologiques.
Comme le dit
Jaques-Dalcroze :
"La joie nat le jour
mme o nous avons constat un progrs en nousÉ
Le fait seul d'amliorer,
grce un effort de volont, une srie d'actes mme sans importance, suffit
nous donner la confiance en nousÉ"
Emile Jaques-Dalcroze "Le
rythme, la musique et l'ducation", p.93
La Ē technique Č
des violons Dansants est basique et comporte quelques pas de danse
simples :
La valse
La valse sÕutilise pour les
musiques ternaires.
Un
grand pas et deux sur place.
La dcouverte de la valse et
de son impact sur le jeu de mes lves a t le dclencheur de toute ma
recherche.
En suivant une intuition
jÕavais demand mon lve de jouer quelques mesures de son morceau avec un
grand pas de ct et deux sur place. Il a fallu quelques essais pour installer
la coordination, puis, le rsultat a t fulgurant !
Ce morceau trois temps qui
tait jou de manire un peu raide et statique est devenu, comme pas magie,
musical. Un appui naturel sur le premier temps, le deuxime et troisime temps
plus lgers tout en menant au prochain premier temps de manire fluideÉ
Les pas de la valse sont
gaux en temps mais de "grandeur" diffrente. Pour changer la
"grandeur" d'un mouvement dans un temps donn, il faut adapter son
nergie.
Il sÕagit l de lÕalchimie entre le temps, lÕespace et lÕnergie, lÕun des
concepts de base de Jaques-Dalcroze :
Ē LÕintervention subjectiveÉdont dpend la
signification expressive ou esthtique du gesteÉimprime au mouvement (musical
ou corporel) sa qualit nergtiqueÉelle donne au geste sa force, son poids,
ses nuances et sa valeur plastique, en modifiant les rapports rciproques de
lÕespace et du temps dans lesquels il sÕinscrit. Č M.-L. Bachmann
"La rythmique Jaques-Dalcroze", page 47
Ē Si l'on fixe
d'avance les rapports de la portion d'espace et de la fraction de temps, il est
indispensable, pour y introduire des mouvements proportionns, que nous soyons
matres de notre mcanisme corporel, car le manque de force pourrait faire
dpasser la mesure d'espace ou abrger la dure, et d'autre part la raideur ou
une trop grande retenue laisseraient incomplte la fraction d'espace ou
feraient dpasser la dure. Č Emile
Jaques-Dalcroze, "Le rythme, la musique et
l'ducation", pages 39-40
Ce concept de Ē temps,
espace et nergie Č est trs loquent pour illustrer lÕutilisation de la partie
droite de notre corps. Pour servir le rythme et lÕexpression, nous apprhendons
chaque coup dÕarchet avec des facteurs de vitesse, de longueur et de poids et
surtout, avec un savant mlange de ces trois lments.
En dansant la valse, on
trouve donc naturellement une autre nergie sur le premier temps par rapport
aux deux autres et cÕest cette mme diffrence qui cre le sentiment ternaire
en musique. La danse a une ascendance sur la musique et agit sur le jeu de
l'archet.
Comme exemple, prenons une
srie de noires dtaches. Pour crer un phras ternaire lÕarchet doit donner
une nergie particulire sur les premiers temps alternativement en tirant et en
poussant, dans la danse chaque mesure se pose tour tour droite et gauche.
Danser le premier temps droite en tirant, et gauche en poussant, facilite
dÕautant la comprhension de ces appuis qui permettent dÕviter la sensation
binaire dcoulant de notre tendance naturelle accentuer les coups dÕarchet
tirs.
La valse est galement un apport
efficace dans l'apprentissage correct des liaisons par trois. En rgle
gnrale, une srie de Ē trois noires Č lies devient une srie
de Ē deux noires et une blanche Č lies.
Certains enfants ont beaucoup
de peine ne pas sÕarrter aprs le troisime temps, dÕautres russissent
facilement en procdant par imitation ; mais en tous les cas, il y a de fortes
prsomptions pour que lÕlve, seul la maison, exerce cette liaison de
manire incorrecte.
Avec les pas de la valse,
cette erreur est pratiquement impossible effectuer, car le troisime pas est
Ē petit Č. En commenant par quelques mesures danses avant de jouer,
cet apprentissage est souvent rapidement assimil et correctement effectu mme
en lÕabsence du professeur.
Il me semble que la difficult
du phras ternaire consiste ressentir chaque mesure comme la "leve"
de la suivante sur laquelle on prend appui, elle-mme menant vers la suite,
etc.
Si cette hypothse se
justifie, le mouvement "circulaire" engendr ncessiterait une
nergie constamment renouvele qui prendrait sa source en elle-mme.
"L'arrt" sur la
fin de la mesure (et qui lui ajoute un temps) peut provenir d'un besoin de
repos et de respiration, avant d'enclencher le mouvement suivant.
Dans le mme ordre dÕide,
mais pour une action un peu diffrente, Marie-Laure Bachmann fait remarquer que
: "le mouvement continu volontaire est encore tranger aux tout-petits,
ceci en raison du dosage et de la rpartition de l'nergie qu'il suppose."
M.-L.
Bachmann "La rythmique
Jaques-Dalcroze", page
208
Il parat clair que la
perception ternaire soit moins naturelle que la perception binaire pour
lÕenfant. Je pense donc quÕil faut l'intgrer au plus tt afin de profiter de
lÕapport neurologique et musical que ce travail et cet apprentissage offrent.
Le pas-pique
Le pas-pique sÕutilise pour
les musiques binaires.
Un pas de ct avec le pied
droit (pas), ramener le gauche prs du droit sans mettre le poids du corps
(pique), puis un pas gauche, ramener le droit etc.
JÕutilise ce pas dans
dÕinnombrables situations.
Dans les toutes premires
leons, mes lves dansent le pas-pique comme pulsation de base pour initier
les double-vitesses ou les double-lenteurs. Danser des noires aux pieds et jouer
des croches ou des blanches. DÕabord en frappant dans les mains puis en
pizzicato (main gauche ou main droite), avec lÕarchet, en mlangeant archet et
pizzicato etc.
Le terrain de jeu dans ce
domaine est infini et apporte de multiples occasions dÕexercer la flexibilit
musculaire et neurologique de lÕenfant.
On peut aussi clarifier
certaines mesures rythmiquement compliques par la position des pieds
lÕintrieur de celles-ci ; comme on lÕillustre dÕhabitude par des barres
verticales sur les temps forts, chaque pas a sa place dans la mesure.
Dans une mesure quatre
temps, en dansant le pas-pique, on sait aussi que chaque fois quÕon pose le
pieds droit (par exemple) on est sr dÕtre au dbut dÕune mesure. CÕest un
excellent moyen pour assurer le nombre de temps qui sont passs.
Tous les exercices de tenue
ou de musculation peuvent tre accompagns par des pas pour les mettre dans une
dynamique rythmique. Ils nÕen deviennent que plus ludiques.
Je prconise quÕil faut
profiter de toutes les situations pour donner lÕenfant un vcu maximum de la
pulsation. Plus ses sensations seront incorpores avec un vcu rythmique, plus
ses mouvements seront harmonieux.
Avec mes lves, et surtout
avec les plus jeunes, je prfre remplacer le mtronome par les pas. En effet,
le travail de comprhension et dÕapplication du rythme sur une pulsation
physique, mme un peu hsitante ou fluctuante dans le tempo, me semble
amplement satisfaisant car le but est moins la rgularit que lÕappui du rythme
sur une pulsation. Si celle-ci est vcue corporellement, lÕapprentissage sera
dÕautant plus intgr. Le mtronome viendra ensuite comme un outil ludique pour
lancer des dfis de tempo et pour contrler la rgularit de celui-ci.
Les lves qui ont jou
"avec leurs pieds" prouvent peu de difficult sÕadapter au
mtronome ou sourient en dcouvrant que le mtronome ne les suit pasÉ Pour ceux
qui ne connaissent pas ce travail, il est plus difficile de faire le lien entre
le son (ou le visuel) et la perception corporelle. LÕappareil reste un objet
extrieur et le discernement de la pulsation demeure virtuel.
Apprendre le rythme sur sa
propre pulsation permet aussi, outre lÕintgration holistique de la musique,
une approche organique des expressions musicales tels que le rubato, les ralentis
ou les accelerando.
Donner un dpart peut tre
facilit par la comparaison avec les mouvements des pieds. En effet, poser un
pied ne va pas sans le lever pralablement.
Quand on lve le pied comme
pour commencer marcher, le mouvement du corps est en gnral naturel.
On peut y ajouter la
respiration (inspirer quand on lve et expirer quand on pose le pied) puis
amplifier ce geste avec le haut du corps pour trouver une attitude corporelle
en cohrence avec le tempo de la phrase musicale.
Le canard boiteux
Le canard boiteux sÕobtient
en mlangeant la valse et le pas pique.
On lÕutilise pour les
musiques temps ingaux : 7/8 ou 5/8 par exemple.
Valse pour le temps long
(ternaire) et pas pique pour les temps court (binaire).
En
Europe de lÕouest, ces pulsations ne sont pas habituelles bien quÕelles
deviennent de plus en plus prsentes depuis lÕmergence des musiques
traditionnelles du monde dans nos cultures et le mlange des populations.
Pour
les enfants, ces rythmiques ne sont pas un problme si on les utilise tt.
Mais
pour installer une pulsation correcte il est plus efficace de commencer par
subdivision et danser toutes les croches de chaque temps.
Par
les grands pas (premiers temps de la valse et premier temps du pas-pique), la
pulsation est dj prsente.
On
peut ensuite enlever les pas plus lgers, le mouvement gnral reste le mme.
Une mesure 7/8 deviendra donc une valse avec un grand pas un peu plus long,
mais ne sera pas forcment le premier temps, ceci en fonction dÕo on le trouve
dans la mesure (par ex. 2, 2, 3).
Ds
que le fait de danser tous les pas est bien install, je propose aux lves de
faire les petits pas en "collant" les pieds au sol de manire ce
qu'ils ne bougent plus rellement. S'ils imaginent le mouvement en gardant
lÕinflux musculaire, la dcomposition des temps s'installe intrieurement.
"
La pratique des mouvements corporels veille dans le cerveau des images. Plus
les sensations musculaires sont fortes, plus les images deviennent claires et
prcises et plus, par consquent, le sentiment mtrique et rythmique se
dveloppe normalement, car le sentiment nat de la sensation. L'lve qui sait
marcher en mesure et selon certains rythmes n'a qu' fermer les yeux pour se
figurer qu'il continue marcher mtriquement et rythmiquement. Il continue
effectuer les mouvements en pense. La prcision et le dynamisme bien rgl des
automatismes musculaires sont la garantie de la prcision des automatismes de
la pense et du dveloppement des facults imaginatives. "
Emile Jaques-Dalcroze "Le rythme, la musique et
l'ducation", p. 63
Le crabe
Le pas de crabe sÕutilise
galement pour les musiques binaires.
Avec ce pas, lÕlve est
amen se dplacer de la manire suivante :
un pas de ct avec le pied droit (pas), poser le pied
gauche prs du droit, puis repartir droite etc.
Le crabe peut se faire en
ligne droite de ct, en avant ou en arrire. On peut lÕutiliser pour tourner,
en cercle intrieur (le centre du cercle face soi) ou extrieur (le centre
derrire soi).
Pour changer de sens, on
utilise un Ē pique Č sur le dernier temps.
Vous disposez donc maintenant
de plusieurs solutions pour Ē chorgraphier Č la musique.
Il va sans dire que tous ces
pas sont modulables en fonction des besoins.
Pour se dplacer, une valse
pourrait devenir par exemple :
(grand)
pas - pas - pique
Mettre la musique dans
lÕespace
Par Ē chorgraphier Č
la musique, jÕentends le fait de jouer un morceau en se dplaant dans la salle
lÕaide de divers pas de danse. En gnral, il sÕagit de donner une direction
diffrente pour chaque phrase et de chercher des symtries afin de construire
une Ē image Č cohrente de la pice musicale.
La chorgraphie peut
galement comporter des moments immobiles (sans danser), elle peut aussi tre
improvise.
Mettre la musique dans
lÕespace a de multiples vertus.
Tout dÕabord cÕest un outil
trs puissant pour dvelopper le sens de la carrure musicale.
Trs vite, lÕenfant saisit et
intgre lÕquilibre des deux, quatre ou huit mesures.
Pour commencer ce travail sur
la carrure, et avant dÕapprhender la chorgraphie proprement dite, prenons un
exemple de valse. Pour sentir que 4 mesures sont passes, sans mme avoir
besoin de les compter, voici une solution:
1er grand pas droite avec le pied droit, 2me grand pas en
avant avec le pied gauche, 3me en arrire avec le pied droit, 4me
gauche avec le pied gauche.
On est ainsi de retour au point de dpart pour entamer les 4 mesures
suivantes.
Les chorgraphies permettent aussi
de comprendre la structure de la pice musicale, ce qui enrichit videmment la
qualit de lÕinterprtation. LÕassimilation du morceau est donc beaucoup plus
rapide et facilement mmorise.
Avec la danse, jouer sans
partition devient vite une ralit, sans avoir besoin dÕy penser ni dÕy
associer des sensations de peur.
En premier lieu parce quÕon
doit, par la force des choses, se dtacher du lutrin dans ce travail et en
deuxime lieu, parce que lÕancrage de la musique sur des mouvements et des
directions est un fort atout dÕintgration comme je lÕexplicite un peu plus
loin.
De plus, la chorgraphie
reste garante de la structure et le morceau continue quoi quÕil en soit. Si on
se perd dans la mlodie on peut se raccrocher facilement sur des points cls
comme le dbut dÕune mesure ou dÕune phrase ; si on se perd avec les pieds,
ce nÕest pas dramatique et cÕest souvent vite rcupr grce aux temps forts.
Je nÕai personnellement
jamais remarqu de trou de mmoire chez mes lves dans une prsentation
chorgraphie.
Ce mode de travail requiert
de rpter une phrase sur des pas prcis et dans des positions spatiales
distinctes. Tous les sens sont mis en veil. Observez ce qui se passe : quand
je pose le 2me doigt sur le pied gauche, lÕarchet pousse, je vois
le toit du voisin par la fentre, jÕentends un do etc.É Que ces donnes soient
conscientises ou non, lÕassimilation musicale, neurologique et musculaire se
fait de manire holistique.
Lorsque lÕon finalise des
chorgraphies, on nÕa pas toujours l'occasion de travailler dans la salle de
concert prvue. Il faut parfois se contenter dÕune petite pice. Cela ncessite
alors dÕimaginer la scne ; la distance au bord de celle-ci ; celle
l'autre personne ou aux autres quand ils sont plusieurs ; la grandeur de
pas que l'on peut effectuer ; apprendre tre indpendant des points
visuels prcis (qui n'existeront plus ailleurs) en se rfrant plutt soi
et/ou l'autre dans l'espace.
Il peut tre utile et amusant
de dplacer plusieurs reprises le bord de la scne ou le public fictif.
Un autre travail ludique qui
permet dÕapprendre doser son nergie en fonction de l'espace est de dfinir
des points de dpart et dÕarrive des diffrentes phrases sur le sol. Pour
cela, on peut utiliser des objets tels que des cerceaux, des feuilles de papier
ou autre, ventuellement avec le nom des notes. Ou mme des repres uniquement
virtuels.
En jouant son morceau,
lÕlve passe par ces repres et change de direction pour chaque phrase.
On peut dfinir la distance
entre ces points en fonction de la longueur de la phrase mais on peut aussi
dcider que deux phrases dÕidentique longueur nÕauront pas la mme distance
parcourir en fonction des dynamiques quÕon voudra lui donner. Ce qui quivaut
faire des plus petits pas sur une distance plus courte ou alors, selon la
crativit et lÕenvie de lÕenfant, choisir un dtour pour y arriver.
Le plus intressant pour le
professeur tant de laisser lÕenfant chercher des solutions.
On peut aussi jouer sur les nuances ; forte, piano, crescendo etc.
La danse Ē muette Č,
cÕest--dire danser la chorgraphie dÕun morceau sans jouer, est galement une
belle exprience.
L'coute intrieure est en
effet incontournable dans cette prestation, la danse tant intimement lie la
musique. Il est plus simple et naturel de chanter la musique intrieurement que
de compter chaque pas.
Le rsultat peut en faire un
moment artistique fort; il se dgager parfois une grande prsence de la
concentration et de l'coute intrieure dans cet exercice.
CÕest lÕoccasion de prendre
conscience de la notion du silence en musique. Que ce silence soit sonore ou
gestuel (ne plus bouger par exemple), lÕenfant peut saisir lÕimportance de la
pulsation lÕintrieur de ce Ē vide Č et le rendre vivant. Comprendre que lÕexpression
continue galement pendant les pauses.
Les enfants aiment crer
leurs propres chorgraphies et sont souvent trs inventifs. Ils ont aussi
beaucoup de plaisir montrer leur prestation sur scne.
Il y a bien entendu un ge
pour tout. Ce type dÕexpression est un jeu trs srieux pour les enfants
jusqu' l'ge de dix ou onze ans. Plus grands, ils sont souvent plus timides et
ont lÕimpression que cÕest un peu puril, sauf quand il sÕagit dÕun travail de
groupe (voir les Ministrings).
Les filles manifestent en
gnral plus dÕaisance que les garons.
Le travail de gestion de
l'espace avec les lves est passionnant.
Dcouvrir comment l'enfant
investit l'univers qui l'entoure est reprsentatif de sa personnalit et permet
l'enseignant dÕaider l'lve prendre sa place. Avec ce travail
chorgraphique, on soutient l'enfant dans son dveloppement en renforant sa
prsence scnique et musicale et donc aussi sa personnalit.
Quelques ides de dpart pour ce travail de chorgraphie :
į
l'lve chante
ou joue le morceau en se dplaant librement dans la salle, il cherche une marche qui convient la
musique.
į
l'lve et le
professeur font le point :
- quelle est la mesure?
- combien de phrases y a-t-il?
- les phrases comportent-elles plusieurs parties?
- y a-t-il des similitudes, une carrure, un rappelÉ?
- faut-il marcher tous les temps ou seulement les temps
forts?
- y a-t-il des leves, les
arrives sont-elles des fins ou des suspensions?
- fort, doucement,
crescendo ou decrescendo? etc.
į
en fonction de
la place disponible, on imagine les diffrentes phrases dans l'espace, on
choisit un lieu de dpart et un lieu de fin de chaque phrase (des cerceaux
peuvent tre placs ces endroits ou le nom de la note vise crite sur une
feuille pose sur le sol).
į
affiner la
chorgraphie, choisir des pas, en inventer dÕautres.
į
chaque phrase
est ensuite travaille sparment, danse en chantant, puis en pizzicato, en
mimant lÕarchet, en jouant, en silence etc.
į
et pour finir,
prsenter ce menu au public !
"Localisation
et orientation dans l'espace, organisation et structuration de cet espace,
valuation des distances et parcours mesurs, font partie intgrante de la
rythmique. L'un de ses rles n'est-il pas de rendre visibles, en les
transposant au plan de l'espace environnant, les manifestations temporelles et
nergtiques de la musique ainsi que les diverses modalits de l'espace sonore
? En retour, elle favorise, l'chelle du corps en mouvement et en
dplacement, la mise en relation des diverses composantes d'espace, de temps et
d'nergie que l'on trouve la base de toutes activits enfantines." Marie-Laure
Bachmann "La rythmique
Jaques-Dalcroze", p.318
Les
Ministrings
Je ne peux pas
parler des Violons Dansants sans faire rfrence aux Ministrings. En effet,
outre mes lves individuels, ce groupe dÕenfants a t un terreau extraordinaire
pour le dveloppement de ma recherche, comme la danse a certainement t une
composante incontestable de leur prsence scnique et de leur nergie
enthousiasmante.
Les Ministrings,
cÕest un ensemble de cordes que jÕai cr au Conservatoire de Lausanne il y a
tout juste 10 ans. Depuis, les Ministrings nÕont eu pas moins dÕune centaine de
concerts dont de belles aventures comme par exemple une tourne Istanbul ou 2
concerts avec lÕOrchestre de chambre de Lausanne. Ils ont aussi obtenu 3 reprises
un 1er prix avec mention la finale nationale du Concours Suisse de Musique
pour la Jeunesse. En 2014, une tourne en Slovaquie puis en France sont
prvues.
Ce groupe est
compos de 20 30 enfants. Les plus petits commencent aprs une anne dÕinstrument
et y restent en gnral 4 5 ans. Les plus grands reviennent souvent soutenir le groupe
lors des concerts. Il y a ainsi une belle synergie pdagogique et un fort
sentiment dÕappartenance.
Cet ensemble
joue en particulier des musiques traditionnelles, dites du "voyage". Beaucoup de leurs morceaux sont prsents
avec des chorgraphies de groupe.
Tout se joue
sans partitions et surtout, les musiciens sont seuls matres bord, personne
ne dirige lÕensemble. En effet, donner aux enfants la totale responsabilit de
leur prestation a comme rsultat de les rendre foncirement
prsents et
participatifs. De plus, il sÕinstalle une loyaut entre eux qui les pousse tous
donner le meilleur dÕeux-mmes.
LÕimage tant
plus loquente que le verbe, je vous propose de les dcouvrir en regardant les
vidos du site internet des Ministrings.
Vous y verrez
des enfants pleins de vitalit qui sont Ē ports Č les uns par les
autres et qui, par une force et un lan commun, arrivent de magnifiques
rsultats expressifs.
Aprs dix annes
dÕexprience, je peux dire avec assurance que le travail sur le mouvement a t
un lment essentiel dans ce groupe.
Les enfants ont
un plaisir vident chercher, crer et danser ensemble.
Les plus grands sont
galement motivs, les effets scniques de cette mobilit tant un indiscutable
apport artistique la prestation.
Pour le groupe,
le mouvement est un facteur de cohsion trs puissant.
Conclusion
En
conclusion cette prsentation des Violons Dansants, j'aimerais tenter de
rpondre quelques questions qui mÕont souvent t poses.
Ce travail ne charge-il pas
encore plus ce quÕon demande dj lÕenfant pour son apprentissage
technique ?
Au contraire, la
conscientisation des mouvements et des sensations ainsi que les rptitions que
requiert ce travail neurologique sont un grand apport pour toutes procdures
dÕtude instrumentale. LÕenfant intgre ces qualits et les reporte dans sa
manire de sÕexercer en gnral.
Alors que les
leons sont souvent dj trop courtes, faut-il prendre ce temps sur le travail
de lÕinstrument ?
Sans conteste,
je rponds oui, prenez ce temps !
Pour commencer, consacrez
quelques minutes par leon ce travail et demandez vos lves de le rpter
la maison. Vous constaterez que le rsultat technique est tout aussi rapide
et, en bien des points, plus efficace. Vous dcouvrirez galement dÕautres
ressources et rsultats positifs.
Pour prparer
des chorgraphies, vous pouvez galement regrouper quelques lves.
Les lves (ou leurs parents)
ne sont-ils pas dstabiliss par cette approche alors quÕils viennent apprendre
le violon ?
Avec mes lves, je commence
danser ds le dbut. Pour eux, le mouvement est donc implicitement li
lÕtude du violon.
Ces exercices deviennent un
rel travail sur eux-mmes et il y a de nombreux moments magnifiques o on peut
les voir travailler avec concentration et rpter sans cesse pour atteindre
leur but. Quand cela demande plus dÕeffort, ils prennent les difficults comme
des lments dpasser et sont trs fiers de russirÉ
Je pense que ceci est d au
fait que cÕest un travail global sur eux-mmes et donc, un travail qui leur
appartient (ce qui nÕest pas toujours le cas des exercices purement violonistiques).
Par cette globalit, lÕlve participe son apprentissage.
Dans ces moments, ils
paraissent comprendre intuitivement l'objectif de leurs efforts :
l'harmonisation de toutes les facults de leur tre.
"En musique comme
dans les autres domaines, une prise de conscience ne peut avoir lieu qu'
partir du moment o certains impratifs extrieurs viennent opposer une
rsistance aux tendances naturelles. Cherchant favoriser cette prise de
conscience, la Rythmique, qui "a pour but l'harmonisation de toutes les
facults de l'tre", fait de l'introduction progressive de rsistances
dans l'exercice des rythmes naturels – corporels et musicaux – l'un
de ses principes ducatifs les plus importants." Marie-Laure
Bachmann "La rythmique
Jaques-Dalcroze", p.236
Est-ce que tous les lves parviennent
danser?
Oui, tous les lves peuvent
danser bien sr. Et pour rpondre la question sous-jacente ; non, la
danse ne va pas transformer un enfant qui nÕa aucune aptitude inne pour le
violon en un lve brillant.
Il est intressant de noter
que les enfants dont les mouvements de danse sont statiques, manquent de
fluidit, sont souvent ceux qui jouent de manire moins expressive et semblent
avoir moins de facilit pour lÕinstrument.
Comme le relve
Jaques-Dalcroze :
Ē Il n'existe pas un sujet
musicien atteint d'un dfaut dans l'expression musicale rythmique qui ne
possde pas corporellement ce dfaut. Č
Pour le professeur, la danse
devient donc un nouvel angle dÕapproche pour dvelopper la musicalit (et
lÕattitude corporelle) de ce type dÕlves.
Ce qui est sr est que tous
les enfants, en fonction de leurs possibilits, profiteront de lÕapport de la globalit
des violons dansants.
La tenue, l'coute et le soin
donner la cration du son constituent des lments intransigeants dans
lÕtude du violon ; comment garder ces qualits en dansant ?
En effet, la danse est un lment
supplmentaire. Il ne faut pas le laisser influencer ngativement les qualits
violonistiques.
Dans aucun cas, je nÕai vu que
la danse dgradait le jeu de manire durable, bien au contraire.
Ceci mÕamne, pour conclure,
souligner deux des lments positifs les plus importants de lÕapport des
Violons Dansants :
į En focalisant l'esprit sur d'autres rsistances, les
tensions relatives aux difficults de l'instrument tendent disparatre.
į Par le travail sur sa globalit, lÕlve participe
comme rel acteur son apprentissage.
Le travail de lÕenseignant
est donc considrablement allg :
On ne se bat plus contre
mais pour et avec.